Une journée internationale «… de la femme » ou « … des femmes » ?
La philosophe Sylviane Agacinski a tranché : «… des femmes », au pluriel, et non de « la femme », au singulier, qui supposerait une identité féminine fixe, sans histoire et indépendante des classes sociales. » (Le Soir du jeudi 8 mars 2012).
Un point de vue que partage Eliane Tillieux, ministre wallonne de l’Action sociale, de la Santé et de l’Egalité des chances.
Précisément, tout en rappelant que la lutte pour l'égalité, c'est 365 jours par an, Eliane Tillieux a choisi le 8 mars pour faire adopter par le Gouvernement wallon, en première lecture, un avant-projet de décret relatif à la mixité des femmes et des hommes dans les conseils d’administration des organismes agréés par la Wallonie.
Le but est d’imposer, comme condition d’agrément, une représentation maximale de deux tiers des membres du même sexe.
Un délai de trois années sera laissé aux associations déjà agréées pour se conformer à la règle. Toute nouvelle demande d’agrément devra respecter la nouvelle condition de mixité.
Les organismes visés sont essentiellement les ASBL qui disposent d’un agrément en Wallonie comme les centres de planning familial, les maisons de repos, les entreprises de formation par le travail, les centres IFAPME, les maisons du Tourisme ou encore les institutions d’accueil et d’hébergement pour personnes handicapées …
C'est donc un nouveau quota qui, au terme du parcours législatif du texte ministériel, s'ajoutera à d'autres quotas imposés dans les listes électorales, les conseils d'administration des sociétés et des organismes d'intérêt public, dans les organes consultatifs, etc.
Des quotas bien nécessaires car une démarche volontariste ne suffit malheureusement pas…
L'initiative d'Eliane Tillieux s'inscrit dans la foulée du plan global de promotion de l'égalité des chances qu'elle a fait adopter par le Gouvernement wallon, un plan qui se décline jour après jour et qui privilégie les actions transversales et les synergies avec les autres niveaux de pouvoir, un plan qui comprend plus de 100 actions avec monitoring et évaluation à la clef.
(Tribune de l'assemblée générale de l'Intercommunale Vivalia en décembre 2012: cherchez la femme! Heureusement, il y en avait dans l'assemblée et les personnes présentes se souviennent de l'intervention musclée d'Anne Slachmuylders, conseillère communale à St-Hubert, à propos notamment de l'insuffisance de la prise en charge hospitalière et posthospitalière des personnes âgées...)
Au cours de ces 40 dernières années, les mentalités et l'arsenal législatif ont bien évolué. Je ne prendrai comme exemple que les textes organisant la lutte contre les discriminations. Le décret wallon du 6 novembre 2008 relatif à la lutte contre certaines formes de discrimination vient d’ailleurs d’être modifié récemment à l’initiative d’Eliane Tillieux (par un décret du 12 janvier 2012).
Sur la proposition de la ministre, il a également été décidé que les « Espaces Wallonie » (des services d’information et d’accueil de l’Administration wallonne) situés à Arlon, Bruxelles, Charleroi, Eupen, La Louvière, Liège, Mons, Nivelles, Tournai, Verviers pourront aussi fournir gratuitement toute information et aide d’ordre juridique aux personnes désireuses de déposer plainte pour discrimination.
Malgré les mesures prises, on n'en a pas fini avec les modèles du passé dans la répartition des tâches, dans les filières d'études et de formation professionnelle. D'aucuns ont même fait le reproche au Gouvernement wallon de privilégier des alliances emploi-environnement consacrées à des métiers typiquement masculins !
On n'en a pas davantage terminé avec les stéréotypes, les codes sociaux, les orientations sexistes à l'école (lire « une fille= un garçon ? » aux Editions L’Harmattan), les discriminations fondées sur le genre, les inégalités salariales, la sous-représentation des femmes dans les mandats publics, les charges universitaires et les postes à responsabilité dans quelque domaine que ce soit.
Sans compter les cas de mutilations génitales, de mariages forcés et de violences conjugales qui occupent régulièrement les médias…
La crise, faut-il le dire, pénalise encore plus les femmes : plus de travail à temps partiel, augmentation de la précarité de l'emploi et des ressources, conditions de travail plus difficiles, problèmes de logement et de déplacement, insuffisance des services collectifs d’accueil de la petite enfance et d'accueil extrascolaire, etc.
La crise est en tout cas une belle occasion pour briser certains carcans protecteurs en droit du travail et en droit de la sécurité sociale et réduire la régulation publique. Ce sont les femmes qui en souffrent et en souffriront le plus.
Les experts qui monopolisent les médias donnent à tout cela un vernis scientifique. Bruno Colmant n’est pas en reste : « Au cours de la prochaine décennie, il faudra susciter une extrême adaptabilité des travailleurs afin que leur mobilité reflète les choix d'harmonisation monétaire. L'euro porte donc en lui un ajustement des systèmes de protection sociale dans le sens d'une plus grande compétitivité et flexibilité. » (La Libre Entreprise du 25 février 2012).
A l’évidence, ce n’est pas de progrès social dont il s’agit…
Si l'interruption volontaire de grossesse est toujours un objectif à atteindre dans certains pays, il en est d'autres où la vigilance s'impose pour conserver certains droits.
En Espagne, le gouvernement conservateur a annoncé son intention de revenir sur les conditions de reconnaissance du droit à l’interruption volontaire de grossesse obtenu en 2010.
En France, la secrétaire d’Etat à la Santé veut limiter les conditions d'accès gratuit et anonyme à la contraception pour les mineures tandis que Marine Le Pen remet en cause le remboursement de l'interruption volontaire de grossesse.
En Italie, le nombre de gynécologues utilisant une clause légale d'objection de conscience pour ne pas pratiquer une interruption volontaire de grossesse, explose…
Et ne parlons pas des Etats-Unis où, en campagne pour la désignation du candidat républicain à la présidentielle, les candidats n'en finissent pas de surenchérir dans leurs propositions de remise en cause de certains droits des femmes.
Il est loin l'optimisme qui régnait en 2011 parmi les parlementaires wallons et de la Communauté française lors des débats précédant l'adoption de la proposition de résolution de Richard Miller sur la mise en oeuvre du plan d'action d'Istanbul pour le rôle des femmes dans la zone euro méditerranéenne.
Après des printemps arabes où les femmes ont été souvent à la pointe des mouvements de révolte, la montée au pouvoir des islamistes n'est pas faite pour rassurer.
L'islam et la charia vont peser longtemps encore dans les constitutions, dans le code de la famille et dans d’autres lois civiles et pénales mais aussi dans leur interprétation et leur application, des lois « qui violent les droits les plus élémentaires et les libertés fondamentales des femmes » comme le souligne « l’appel des femmes arabes pour la dignité et l'égalité ».
Certes, gardons-nous de tout juger à l’aune de nos regards occidentaux mais on serait quand même un peu moins inquiet pour les femmes arabes si les défenseurs d'un islam « des lumières » et de son interprétation souple l'emportaient…
Dans l'« appel des femmes arabes pour la dignité et l'égalité », on peut lire notamment ceci : « Aujourd'hui que le monde arabe est en phase de construction démocratique pour la consolidation de l'Etat de droit et des droits humains, nous considérons que si l'égalité ne peut se réaliser sans la démocratie, la pleine jouissance de cette démocratie ne peut se réaliser sans une égalité totale entre les hommes et les femmes.
Aucune démocratie en effet ne peut se construire au détriment de la moitié de la société. Ensemble nous avons fait notre présent, ensemble nous construirons un avenir meilleur. »
Il y aurait encore tant de choses à dire sur la cause des femmes, sur les violences guerrières qu’elles subissent ici et là, sur toutes celles qui perdent la vie lors d’accouchements réalisés dans des conditions sanitaires et médicales en dessous de tout.
Les considérations qui précédent étaient bien loin des concepteurs de la pub du Club Med à l’occasion du 8 mars. Sur une pleine page du Soir, tout y est : le ciel bleu, les studios sur pilotis, la plage de sable fin, l’eau pure et une jolie femme assise sur un fauteuil bien connu, avec un slogan de derrière les fagots : « Ici, la journée de la femme, c’est tous les jours ».
Mais pourquoi se tracasser encore?
J. Gennen, 12 mars 2012
Sur le même thème, voir aussi sur ce site " Aristophane, l'Assemblée des Femmes et l'égalité entre hommes et femmes".
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