Faut-il un grand débat sur l’identité wallonne ? Que veut vraiment Rudy Demotte à l’occasion du 30ème anniversaire de la Région wallonne ?
Bien sûr, il faut éliminer déjà toute référence au débat qui a agité nos voisins français, un grand défouloir contre les immigrés et les musulmans…
De même, on est à cent lieues du combat flamand qui, d’une action légitime et émancipatrice de promotion et de défense d’une langue, s’est transformé en un combat pour la défense d’une identité nationaliste et pour l’homogénéité linguistique d’un territoire, sur fond de populisme, d’exclusion de l’autre et de ses différences.
Le Ministre-Président a précisé sa pensée : « Je pose un constat : notre stratégie socio-économique, le Plan Marshall 2.vert, est claire et cohérente mais il manque encore cette conscience collective qui mobilise et dynamise la population. (…).
Je tiens à le préciser d’emblée : il s’agit pour moi d’ouvrir une réflexion concrète sur la création d’un « esprit d’équipe » et pas de m’interroger sur les fondements historico-sociologico-psychologiques de l’identité. Cette question-là, je la laisse aux spécialistes ».
(Rudy Demotte (ici, au Salon des mandataires):" … le talent wallon s’ignore. Chaque jour, des Wallons s’illustrent par leur savoir-faire, par leur inventivité. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si ma démarche fait partie intégrante du Plan Marshall 2.vert. Nous avons la stratégie économique. Il nous faut à présent un esprit mobilisateur. Une conscience collective qui doit donner un nouveau sens à ce que chacun entreprend. »
L'identité, selon Rudy Demotte: « Une conscience commune et une volonté d'agir en commun, c’est cela en priorité une identité.
Il s’agit de mettre sur pied un projet susceptible de forger la confiance, indispensable au développement économique.
L’économie, c’est en effet avant tout des hommes et des femmes qui la font. Et tous, pour avancer, nous avons besoin de soutien, d’encouragement, d’une petite tape dans le dos pour nous dire « continue, tu fais du bon boulot ». Cet « esprit d’équipe » que je souhaite développer doit contribuer à ça. Parce que, par son biais, chacun de nous, dans ce que nous entreprenons, nous devons avoir le sentiment d’être le maillon de quelque chose, de servir une cause. »
Quant aux propositions que Rudy Demotte formule (consacrer le nom de la Wallonie, adopter la dénomination Fédération Wallonie-Bruxelles pour la Communauté française, unifier la visibilité extérieure de la Région wallonne, consacrer pleinement Namur comme capitale de la Wallonie, adopter une devise wallonne, créer un Ordre de Wallonie, développer des supports pédagogiques), on peut sans doute discuter de telles priorités à l’heure actuelle.
Mais l'identité wallonne doit avoir aussi une référence institutionnelle. A cet égard, la Fédération Wallonie-Bruxelles va dans le sens de la résolution institutionnelle adoptée, à l’unanimité des 4 partis démocratiques, par le Parlement wallon, le 16 juillet 2008.
Cette résolution institutionnelle constitue notamment une prise de position claire et ferme qui est tout sauf du repli sur soi :
- en faveur d’un Etat fédéral qui doit rester le socle de la solidarité interpersonnelle et le garant de l’union économique et de l’union monétaire du pays ainsi que le garant de l’unité du droit du travail,
- en faveur d’un équilibre institutionnel qui s’appuie prioritairement sur trois Régions dont la Région de Bruxelles-Capitale, une Région à part entière dont l’élargissement est également revendiqué par les députés wallons,
- en faveur d'une réelle solidarité avec la Région de Bruxelles-Capitale.
Rudy Demotte ne nie pas qu’il y a encore du chemin à parcourir pour redresser l’état de l’économie wallonne, une économie plombée,, faut-il le souligner encore, par la crise financière et économique et pour faire face à des défis majeurs en matière d’enseignement et d’emploi.
Le MR, lui, n’en a que pour la déglingue wallonne (Serge Kubla : « La Wallonie va mal, très mal » dans le Vif de cette semaine, Willy Borsus : « une Wallonie en plein décrochage », dans les éditions de Vers l’Avenir de ces derniers jours).
Ils voient le verre à moitié vide plutôt qu’à moitié plein. C’est de bonne guerre. On n’en attendait pas moins d’eux.
Il leur est facile de dénoncer par exemple le manque de moyens pour les routes, les autoroutes et le logement en se gardant bien de rappeler qu’à la veille du Tsunami financier et économique, ils déposaient encore des propositions de décret portant sur une nouvelle diminution des droits d’enregistrement et la suppression de la redevance TV), ce qui, si on les avait suivis, aurait réduit de plus de 400 millions d'euros, au moment où on en avait le plus besoin, les recettes de la Région wallonne!
Mais je ne peux qu’être surpris du décalage entre le discours du MR et celui d’éminents représentants patronaux. Ce n'est pas nouveau. Je l'ai déjà souligné à plusieurs reprises lors d’interventions au Parlement wallon, au cours de la législature précédente.
Pour ce qui est de la stratégie économique et de l’esprit mobilisateur, certains discours patronaux ont des accents à la Rudy Demotte, comme celui de Jean-Pierre Delwart, le Président de l’Union Wallonne des Entreprises qui veut « redonner de l’ambition aux entrepreneurs » ou celui de Luc Vansteenkiste.
Voici quelques propos choisis tirés de l’interview de Luc Vansteenkiste dans le Trends-Tendances du 25 février 2010 :
« … le plan Marshall me tient profondément à cœur, non parce qu’il concerne la Wallonie mais parce qu’il me donne l’occasion de participer à la définition et au développement d’une économie. C’est un processus fascinant pour un dirigeant d’entreprise comme moi. Difficile de rêver mieux ».
Et encore : « Beaucoup de belles choses ont déjà été réalisées mais il y a encore du pain sur la planche, surtout concernant la question fondamentale : « comment allons-nous maintenir la solidarité dans ce pays et assurer la redistribution des richesses afin de garder l’équilibre ? ».
Quant aux pôles de compétence et de compétitivité développés dans le cadre du plan Marshall, il s'agit pour lui d'une expérience unique!
Pour en revenir à ma définition de l’identité, je préfère celle qui repose sur la diversité, des solidarités, un "vivre ensemble" tolérant et des projets, une identité qui s'enracine aussi dans les combats sociaux ou les épreuves communes d’un passé pas tellement éloigné…
Et j’apprécie la référence faite par l’historien Hervé Hasquin (ancien ministre et député MR), dans une carte blanche publiée dans Le Soir du 13 avril 2007 aux trois grands Wallons que furent Jules Destrée, André Renard et François Perin.
Hervé Hasquin concluait ses propos ainsi : " Ils n'ont jamais pactisé avec le populisme nauséabond. C'était trois tribuns. Ils touchaient aux tripes et vous rendaient fiers d'être wallons. l'intellectuel libéral et wallon que je m'efforce d'être leur en saura toujours gré."
(Jean Louvet, le grand écrivain et dramaturge wallon et José Happart, lors l'Assemblée wallonne du 29 février 2008, deux personnalités qui, avec Jean-Maurice Dehousse, Jacques Yerna, Max Bastin, Urbain Destrée, Robert Collignon, Jean-Claude Van Cauwenberghe (et même Serge Kubla, lorsqu'il était bien inspiré) ont illustré le combat wallon et animé de grands débats sur le fédéralisme et la place de la Wallonie dans la Belgique fédérale...)
J.Gennen, 7 mars 2010
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