La séance plénière du Parlement wallon du 8 décembre 2010 a été marquée par l’adoption du projet de décret spécial « limitant le cumul de mandats dans le chef des députés du Parlement wallon ».
Le moins que l’on puisse dire est que la plupart des députés PS et cdH n’étaient pas convaincus par l’opportunité et la pertinence de ce projet de décret (« une sucette pour Ecolo », a notamment déclaré le député cdH Dimitri Fourny).
Le Parlement wallon a estimé pouvoir adopter ce texte en vertu de son autonomie constitutive, autrement dit la possibilité que lui donne la Constitution de modifier un certain nombre de règles relatives à sa composition, à son fonctionnement et aux incompatibilités s’imposant à ses membres.
Ainsi, par son décret spécial, le Parlement wallon a modifié l’article 24 bis de la loi spéciale du 8 août 1980 de Réformes institutionnelles qui règle notamment pour le Parlement wallon, les conditions d’éligibilité et fixe certaines incompatibilités et interdictions de cumul.
Ce décret, pour être adopté, nécessitait une majorité des 2/3 des membres de l’Assemblée.
Comment la nouvelle incompatibilité est-elle fixée ?
« Pour les trois quarts des membres de chaque groupe politique, le mandat de membre du Parlement est incompatible avec un mandat au sein d’un collège communal ».
Autrement dit, seuls 25% des députés de chaque groupe pourront cumuler.
Lesquels ? « … ceux qui exercent un mandat dans un collège communal et qui ont obtenu le plus haut taux de pénétration lors des élections régionales. »
Un taux de pénétration qui « se calcule en divisant le nombre de votes nominatifs obtenus par l’élu par le nombre de votes valables exprimés dans sa circonscription électorale. »
Le décret entrera en vigueur après les prochaines élections régionales.
Une période transitoire est prévue jusqu’en 2018 au cours de laquelle celui qui ne pourra pas cumuler pourra se déclarer « empêché » dans l’un ou l’autre mandat.
S’il se déclare empêché dans l’exercice de son mandat de député, il est remplacé par son suppléant. S’il cesse ses fonctions au sein du Collège communal, il reprend son mandat de député.
(Le bourgmestre « empêché » reste le premier pour tout ce qui est protocolaire, tout en ne présidant plus le collège ni le conseil communal, en n’engageant plus juridiquement la commune par sa signature)
C’est surtout de rencontrer un diktat d’Ecolo lors de la formation du Gouvernement wallon.
Pour le Ministre Paul Furlan, peu enthousiaste mais fidèle à la Déclaration de politique régionale, il s’agit de renforcer encore la gouvernance par un décret qui est la concrétisation d’une réflexion qui s’inscrit dans deux limites.
La première : le Parlement doit comprendre un certain nombre d’élus locaux et garder un lien direct avec les réalités locales, les pouvoirs locaux auxquels la Wallonie réserve près d’un cinquième de son budget.
La deuxième : donner au Parlement la hauteur nécessaire à ses débats en évitant « l’effet dévastateur du sous-régionalisme ».
(Paul Furlan lors de l'édition 2010 du Salon des mandataires)
Pour le Ministre, c’est un décret qui s’inscrit dans la foulée de toute une série de mesures déjà prises et visant à éliminer la mal-gouvernance ainsi que les conflits d’intérêts (comme la diminution du nombre d’intercommunales et de leurs administrateurs, diverses interdictions de cumul, l’obligation de déclarer les mandats et rémunérations, le plafonnement, par exemple, des rémunérations de député et de bourgmestre ou échevin ou président de CPAS, etc.).
Autant de décrets ou de projets de décret « pour plus d’efficacité et d’équité des politiques publiques » a encore souligné Paul Furlan.
Pourquoi seulement 25 % de députés de chaque groupe politique pourront-ils cumuler ? Et non 33 ou 45% ?
« C’est le résultat d’un compromis intelligent, concerté entre trois formations politiques qui constituent l’Olivier, aboutissent à fixer cette limite à 25% et me demandent de le mettre en œuvre, ce que je fais. » a indiqué Paul Furlan…
Et le Ministre en bon notaire de la Déclaration de politique régionale a même eu des accents lyriques : « C’est donc un momentum important de la vie de cette législature, de la vie de ce gouvernement, de la vie de ce parlement (…) qui aura des conséquences à plus long terme sur la vie démocratique de la Région wallonne. »
Marcel Cheron qui a défendu le texte, pour Ecolo, a même évoqué « un débat de philosophie politique, de conception que l’on a de la représentation démocratique. »
La lecture du compte rendu de la séance plénière et surtout celle des comptes rendus des débats en commission nous renvoie d’un argument juridique à un autre.
Pour les députés MR, le critère fondé sur le taux de pénétration n'est pas pertinent, il y a contradiction avec le code de la démocratie locale, il y aura pléthore de candidats suppléants, les élus de certains arrondissements seront favorisés, etc.
Paul Furlan, la chef de groupe socialiste Isabelle Simonis et Marcel Cheron ont plaidé en sens contraire...
Le MR, par la voix de Jean-Paul Walh, n’a pas fait dans la dentelle : « … un texte considéré par tous comme exécrable, … un monstre juridique et légistique, antidémocratique, hypocrite, démagogique et populiste… »
N’en jetez plus, la coupe est pleine ! Le MR, oubliant ses prises de position antérieures, a même fait dans la surenchère : pourquoi ne pas envisager un décumul total ? Pourquoi ne pas supprimer l’effet dévolutif de la case de tête ? Pourquoi ne pas créer une circonscription régionale en plus des circonscriptions actuelles ?
Isabelle Simonis, après avoir répondu aux critiques juridiques du MR a conclu ainsi : « Mon groupe respectera l’accord de majorité (…). Nous le ferons, quand bien même il est difficile pour la majorité d’entre nous, de traiter un texte qui va s’appliquer à nous-mêmes fort probablement. (…).
Les membres de mon groupe voteront donc le projet, non sans rappeler au Gouvernement que nous devrons ensuite nous pencher très rapidement sur les priorités de nos concitoyens, à savoir le développement, la lutte contre la pauvreté et chômage, bref, tous les problèmes du quotidien de notre région ».
On sent une chef de groupe PS excédée et une sorte d’avertissement adressé à Ecolo…
Après avoir souligné les faiblesses juridiques et, selon lui, certains effets pervers du texte, Le député et chef de groupe cdH Maxime Prévot a rappelé que tout ne commence pas avec le projet de décret 25% : « Si tout ne commence pas ce 8 décembre 2010, c’est parce que, rappelons-le, la précédente législature avait déjà été prolifique en décrets et mesures divers destinés à renforcer la transparence des modes de gestion publique, à accroître la confiance de la population envers ces décideurs et à réduire les situations problématiques ou autres conflits d’intérêts.»
Et de rappeler notamment que : « Le nombre des membres des organes de décision des intercommunales et leurs rémunérations ont été revus à la baisse ou cadrés, la tutelle a été réformée. (…). Les incompatibilités de mandats ont été révisées, une cellule de contrôle des mandataires a été mise en place, une déclaration obligatoire des mandats et rémunérations a été instaurée.»
Maxime Prévot, encore: « D’aucuns pourraient s’étonner que nous ne claironnions pas tous azimuts pour encenser le texte qui nous est soumis ce jour. (…). Toute la classe politique, en cette période, vit des heures sombres quant à sa crédibilité, à son respect et à son honorabilité.
Ce sentiment a été nourri d’abord et avant tout par les comportements inacceptables de certains de nos collègues qui, ces dernières années, ont eu des agissements manifestement en contradiction avec ce que les citoyens attendent d’une honorable et efficace représentation de leurs intérêts. A juste titre, ces élus ont été sanctionnés, à tout le moins politiquement.
Mais doit-on pour autant jeter l’opprobre sur tous les élus ? Sur toutes ces personnes qui ne comptent pas leur temps, qui sacrifient souvent leur vie familiale, voire leur santé, pour un passage souvent éphémère dans les enceintes parlementaires dont, contrairement à ce que l’on peut parfois penser, ils ne tireront pas de profit personnel ? (…).
Nous serions aussi motivés par l’appât du gain. C’est ignorer que nos rémunérations sont plafonnées et sévèrement contrôlées chaque année par une cellule spéciale de l’ISI, mais qui se questionne lorsqu’on cumule une fonction d’élu local ou de parlementaire avec une fonction privée encore active, du type avocat ou médecin, par exemple ? Pour ces fonctions qui, elles aussi, prennent du temps, point de limite de rémunérations, point d’émoi chez les citoyens. Quelle cohérence ! »
D’accord, de tels propos qui mériteraient d’être plus amplement commenter, sont un rien lyrique et larmoyant et il appartient à chacun d’assumer ses choix de vie professionnelle ou politique mais il y a du vrai dans tout cela…
Les débats en commission se sont déroulés sous la présidence remarquable du député socilaiste Christophe Collignon qui a conduit les débats avec beaucoup de détermination et d’élégance. En plus, c’est un fin juriste…
(Chistophe Collignon, entouré de Marc Tarabella, député européen et bourgmestre d'Anthysnes, Guy Milcamps, député honoraire et bourgmestre de Ciney et Jean-Charles Luperto, président du Parlement de la Communauté française et bourgmestre de Sambreville. Photo d'archives)
Pas évident de maîtriser des débats qui, à certains moments, partaient dans tous les sens, avec des échanges du genre :
Willy Borsus à Paul Furlan : « On a un vrai problème, vous dites blanc le matin, noir l’après-midi et vous vous étonnez que l’on s’étonne.»
Paul Furlan à Willy Borsus : « Non, non, vous dites n’importe quoi le matin et n’importe quoi l’après-midi et vous vous étonnez que je me fâche ! »
Pour le Conseil d’Etat, le Parlement wallon n’est pas compétent : l’avant-projet excède les limites de son autonomie constitutive. Je vous passe les détails de son argumentation.
Le Conseil d’Etat avait déjà déclaré le Parlement wallon incompétent pour adopter le projet de décret instituant Namur comme capitale de la Wallonie et siège des institutions politiques régionales, ce qui n’a pas empêché l’ensemble des députés wallons d’adopter ce projet de décret (le 20 octobre 2010). Il est vrai que la portée de ce texte, sans la sous-estimer pour autant, était avant tout symbolique…
Le Conseil d’Etat a aussi estimé qu’il portait atteinte à des droits fondamentaux tels que celui de l’électeur qui doit pouvoir prévoir l’effet utile de son vote.
Un argument discutable: l'électeur sait-il où son candidat va siéger s’il est élu ? Connaît-il les conséquences de l’apparentement ? Sans doute, l’électeur saura-t-il moins que jamais, au moment de voter, qui occupera tel ou tel mandat…
Enfin, le taux de pénétration est selon le Conseil d’Etat, discriminatoire.
Sur ce point, on est nombreux à le suivre… Les « vedettes » politiques et médiatiques s’en tireront souvent mieux que les autres…
Le MR emmené par les deux bretteurs que sont Jean-Paul Wahl et Willy Borsus, n’a pas manqué de s’appuyer sur cet avis comme sur d’autres avis juridiques pour critiquer l’avant-projet de décret, en commission comme en séance plénière.
Mais Paul Furlan a relativisé l’avis du Conseil d’Etat « qu’il ne faut pas prendre en pleine figure comme étant la vérité révélée » et n’a pas manqué de rappeler que la jurisprudence de la Cour constitutionnelle ne va pas nécessairement dans le même sens que les avis du Conseil d’Etat.
Marcel Cheron : « … on a beaucoup disserté et c’est normal, sur la solidité juridique du texte. Ce n’est pas pour relativiser mais c’est curieux quand même qu’à un certain moment, on met en avant des avis du Conseil d’Etat qui sont très critiques et qu’à d’autres moments, on n’en parle même pas. Est-ce donc que le droit vaut pour des sujets qu’on aime et pas pour des sujets qu’on n’aime pas ? Ou est-ce que le droit est pour toujours quelque chose d’essentiel et l’argument juridique vaut pour tout ? »
Si j’ai bien compris Marcel Cheron et la suite de son intervention, la réponse est oui à la première question et non à la deuxième. Cela peut nous conduire loin…
L’objectif n’est pas, selon le Ministre, de permettre à des députés de mieux se consacrer à leur travail parlementaire (les élus locaux sont d’ailleurs très actifs au sein du Parlement) sinon « il faudrait un débat sur le décumul total, non seulement avec la fonction d’élu local mais aussi avec toute autre fonction publique ou privée. »
Va-t-on, grâce au nouveau décret, « éviter l’effet dévastateur du sous-régionalisme » (Paul Furlan) ?
Mais quel est l’effet dévastateur du sous-régionalisme, si tant est qu’il existe réellement ? C’est celui qui s’illustre dans le temps passé au Parlement à poser des questions orales (dont beaucoup, d'importance secondaire sauf pour le député qui la pose, n’ont pas un caractère d’urgence et pourraient être posées par écrit) au détriment du temps qui devrait être réservé aux propositions et projets de décret…
Isabelle Simonis a d’ailleurs souhaité une révision du rôle des parlementaires : « A mon sens, le rôle des députés devrait être revu pour atteindre une meilleure implication de ceux-ci dans les processus législatifs. Mais ceci est un autre débat, bien plus large que le projet de décret qui est soumis à notre assemblée aujourd’hui, débat bien plus large que bien sûr nous pouvons, mon groupe tout entier, soutenir avec vous dans le cadre de la redéfinition d’un travail parlementaire intéressant. »
Répondant à Jean-Paul Wahl et faisant aussi allusion à des propos d’André Bouchat (qui, en matière de particratie, sait de quoi il parle), la Chef de groupe socialiste a également appelé un chat un chat : « … d’aucuns ont estimé que ce projet de décret allait renforcer des partis et anéantir la liberté d’expression dans les enceintes parlementaires. Alors, là, Monsieur Wahl, il me semble que c’est vraiment faire preuve de naïveté, voilà donc une belle hypocrisie. L’emprise des partis, Monsieur Wahl, n’est un secret pour personne et nous pouvons tous le regretter, bien évidemment, mais cette situation existe depuis bien plus longtemps que ce décret. »
Non, vraiment, ce nouveau décret ne convainc pas grand monde sauf Ecolo qui le voulait seul contre tous et l’a imposé lors des négociations pour la formation du Gouvernement wallon.
Il convainc d'autant moins que cette limitation de cumul n'existera qu'au Parlement wallon (il y a peu de chances qu'Ecolo puisse faire passer un tel texte à d'autres niveaux, si l'on en juge par la suite réservée à ses dernières tentatives...).
A propos des écologistes, Maxime Prévot n’a pas manqué d’épingler le plaidoyer des écologistes français en faveur du cumul de Dominique Voynet comme sénatrice-maire et de Noël Mamère comme député-maire.
Les débats qui ont précédé l’adoption de ce nouveau décret ont surtout permis à certains médias de contribuer un peu plus à la stigmatisation des élus en évoquant le décret « cumulards ».
Le Parlement a aussi besoin de parlementaires qui s’appuient sur des bases électorales solides et, quand c’est possible, sur un mandat exécutif local qui renforce leur capacité d’action politique, pour tenir tête au Gouvernement quand il le faut. La position de l'Union des Villes et Communes de Wallonie était rien moins que négative à l'égard du projet de décret et on la comprend...
Mais bon, tout cela se discutera encore…
Le moins que l’on puisse dire est que, par loyauté à l’égard de la Déclaration de politique régionale, Paul Furlan a eu bien du mérite à défendre ce texte et les députés socialistes et sociaux-chrétiens ont bien eu du mérite à l'adopter aux côtés de leurs collègues écologistes...
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